Critères gagnants

 

Le projet des « Pratiques gagnantes en sciences et technologies » est né d’un grand intérêt pour l’enseignement des sciences et technologies (ST), avec en toile de fond, la volonté de renforcer les savoirs et les compétences scientifiques et technologiques chez les élèves canadiens.

 

Le texte ci-après présente l’évolution dans le choix des critères ayant guidé la sélection des pratiques gagnantes retenues pour le TableauST.

 

 

Dans nos discussions avec les enseignants, nous avons pu nous rallier sur certains critères pour choisir et développer des exemples de pratiques gagnantes. Ces critères « gagnants » sont issus d’une analyse de ce que les enseignants ayant participé à nos communautés d’apprentissage considèrent comme important dans leur enseignement, des programmes de formation en sciences et technologies de différentes juridictions (pays, province ou état), et de principes que défendent les chercheurs internationaux en didactique dans leurs travaux. Soulignons que dans nos discussions et suite au travail qui a été réalisé dans chacune des communautés d’apprentissage, certains critères ont été articulés de façon différente dans les deux provinces de l’Ontario et du Québec. Ces différences sont perceptibles dans les tableaux de critères gagnants associés à chaque pratique dont l’organisation n’est pas la même pour les exemples ontariens et québécois. Nous considérons ces différences comme le reflet de préoccupations plus ou moins marquées d’une province à l’autre, de programmes ministériels qui sont construits différemment, et comme le résultat d’un travail collectif où le point de vue des enseignants a contribué à définir notre cadre de réflexion.

 

Nous allons donc présenter les critères gagnants de la cinquantaine de pratiques qui ont été sélectionnées pour le site Web TableauST en soulignant au passage les différences entre les critères retenus par les enseignants en Ontario et au Québec. Notons que la principale différence concerne l’ordre des critères qui, dans la réflexion menée avec les enseignants, a influencé le travail de développement. Ces critères sont au nombre de neuf :

 

  1. Contenu stimulant
  2. Démarche d’investigation
  3. Apprentissage actif
  4. Questionnement
  5. Partage et confrontation d’idées
  6. Représentations multimodales
  7. Enrichissement conceptuel
  8. Évaluation pour l’apprentissage
  9. Ressources du milieu

 

 

  1. Contenu stimulant

De tout temps, l’être humain s’est émerveillé et c’est justement cet émerveillement qui a fait en sorte que sa curiosité a été sollicitée et qu’il a voulu explorer son environnement. Dans toutes les pratiques que nous avons analysées avec les praticiens, nous avons vu émerger ce critère du contenu stimulant. Cette stimulation passe par l’étude d’un sujet qui touche le quotidien de l’élève, qui l’interpelle (Fitzgerald et Schneider, 2013; Hackling et Prain, 2005). En Ontario, les enseignants qualifiaient ces pratiques de « Wow » pour les élèves. Que ce soit pour comprendre ce qui distingue les insectes d’autres petites bestioles, ou encore comment vole un avion, les élèves se sentent interpellés par l’activité et ont le goût d’apprendre. Notons que dans les exemples québécois, ce critère a été jumelé avec le questionnement pour s’assurer que tout au long de l’activité, l’élève soit amené à réfléchir et à suggérer des ébauches d’explications. Ce critère est aussi présent dans les exemples ontariens. Il est tout simplement placé différemment dans l’organisation générale de la présentation des critères gagnants.

 

  1. Démarches d’investigation

Les démarches d’investigation sont incontournables en enseignement des sciences et technologies (Astolfi, 2008; ; Morge et Boilevin, 2007; Ontario. Ministère de l’Éducation, 2008; Québec. Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, 2001). Qu’il s’agisse d’une observation (observer un phénomène comme l’arc-en-ciel), d’une exploration (explorer le fonctionnement d’une poulie), d’une expérimentation (mettre un œuf dans le vinaigre quelques jours pour constater ensuite l’effet du vinaigre sur la coquille de l’œuf), d’une modélisation (faire un modèle de squelette, de nuages ou du système solaire) ou ce qu’on appelle résolution de problèmes technologiques (faire fonctionner une voiture à l’énergie mécanique avec des élastiques ou réaliser un défi apprenti génie), la grande majorité des pratiques gagnantes mettent en branle une approche d’investigation ou d’enquête qui amène l’élève à observer, se questionner, décrire et tenter d’expliquer ce qu’il a devant les yeux. Certaines pratiques ne présentent pas explicitement cette démarche d’investigation ; mais elles ont tout de même l’avantage de constituer des exemples innovants et gagnants aux yeux de la communauté d’apprentissage ontarienne.

 

  1. Apprentissage actif

L’apprentissage actif est le critère par lequel l’élève s’investit réellement dans l’activité. Il est actif sur le plan physique, mais surtout sur le plan cognitif. Une action sans réflexion resterait vaine, car elle deviendrait un jeu qui ne sert que de passe-temps. En résumé, l’apprentissage actif suppose que les élèves fassent des tâches concrètes et réfléchissent à propos de ce qu’ils font (Bonwell et Eison, 1991). Ainsi, l’apprentissage actif suppose qu’au-delà de la manipulation d’objets concrets, un travail de réflexion et de construction de savoirs soit fait pour tenter d’expliquer les observations. La proposition d’explications et de solutions élaborées par les élèves prend alors tout son sens.

 

  1. Questionnement

Le questionnement est à la base de l’apprentissage en sciences et technologies. Pourquoi le système solaire est-il constitué des huit planètes ? Comment une plante pousse-t-elle ? Comment fonctionne un engrenage ? Ce sont de telles questions que les élèves doivent cultiver en classe de sciences. Ils doivent cultiver le « qu’est-ce », le « pourquoi » et le « comment » dans le but de s’atteler à la construction d’explications. Le fait d’élaborer des problèmes à résoudre est ainsi imbriqué dans l’activité scientifique. Dans la démarche de problématisation, telle qu’elle est présentée par Orange (2005) dans son texte Problématisation et conceptualisation en sciences et dans les apprentissages scientifiques (https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2005-3-page-69.htm), nous voyons que construire des problèmes fait partie de l’arsenal scientifique. Ainsi, se questionner, dresser le champ des possibles semble dès lors une compétence à développer chez l’élève. Ce questionnement est certes relié au critère gagnant de la démarche d’investigation, qui vise à inviter l’élève à utiliser un processus rigoureux pour mener à bien sa quête de réponses ou de solutions.

 

  1. Partage et confrontation d’idées

Le partage et la confrontation d’idées font partie des compétences du 21e siècle (Ontario. Ministère de l’Éducation, 2016) soit la communication, la capacité de travailler en équipe et de produire en collaboration des idées novatrices. C’est par le travail en petits groupes qu’est souvent stimulée cette fonction de partage d’idées. La confrontation d’idées est d’ailleurs à la base du processus de construction des savoirs scientifiques (Kuhn, 1970). Au-delà de l’observation et de la manipulation d’objets concrets, il est essentiel que les élèves aient l’occasion de proposer des solutions et des explications dont ils peuvent débattre afin de construire, de façon individuelle et collective, une compréhension du monde qui les entoure. Souvent, l’enseignant pourra en grand groupe être le guide du partage et du débat d’idées et des solutions qui auront été proposées par les équipes d’élèves.

 

  1. Représentations multimodales

Les représentations multimodales sont une composante importante des pratiques gagnantes, en ce sens que les élèves sont invités à consigner leurs données, à mettre en relief les éléments d’explications autrement que dans un format questions-réponses sur une feuille de papier (Fitzgerald et Schneider, 2013 ; Hackling et Prain, 2005). Ces représentations multimodales sont également multiformes, créatives, variées, et elles peuvent aller de la création d’un modèle d’insecte, à la complexité liée à la confection d’un site Web sur le thème du système solaire. Les divers modèles ou prototypes fabriqués, que ce soit pour une modélisation ou pour la résolution de problèmes technologiques, font également partie de ces représentations multimodales. La question des langages en sciences et technologies, présente dans les programmes de formation (Ontario. Ministère de l’Éducation, 2008; Québec. Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, 2001) et dans plusieurs travaux de recherche en didactique (Bisaut, 2005; Jaubert et Rebière, 2000; Lhoste, Boiron , Jaubert, Orange et Rebière, 2011) est aussi au cœur de ce critère.

 

  1. Enrichissement conceptuel

De nombreuses recherches montrent l’importance de l’apprentissage et du changement conceptuel en didactique des sciences (Astolfi, Peterfalfi et Vérin, 2006; Bruner, 1960; Duit et Treagust, 2003). À ce propos, des chercheurs en didactique des sciences s’entendent sur l’importance d’engager les élèves dans des démarches où ils débattent de leurs propres interprétations dans la construction d’un savoir partagé et négocié (Fabre et Orange, 1997; Johsua et Dupin, 1993; Niaz et Chacon, 2003; Orange, 2012) en intégrant les savoirs de référence. L’idée de l’enrichissement conceptuel (Fitzgerald et Schneider, 2013 ; Hackling et Prain, 2005) est donc de partir des conceptions des élèves (Thouin, 2017) pour les faire évoluer dans des démarches qui font appel au raisonnement plutôt qu’à l’apprentissage de savoirs préconstruits.

 

L’enrichissement conceptuel est le but ultime de l’apprentissage en ST: soit pouvoir utiliser des savoirs de plus en plus complexes pour se représenter le monde. Cette question des savoirs est intimement liée à celle du langage dans l’apprentissage des sciences tel que le propose Bruner (1960), et qui implique que les élèves sont des apprenants actifs en élaborant des explications à leur portée, tout en les confrontant aux savoirs de référence. Quand j’utilise le mot « habitat » cela signifie que je comprends que c’est un milieu qui permet, par exemple, à une plante de combler ses besoins essentiels. Dans ce même ordre d’idée, le concept de racine au niveau des plantes fera intervenir diverses représentations (radicules, racines superficielles, racines nues, rhizomes, etc.) 

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Racine_(botanique)#Diff.C3.A9rentes_formes_de_racines)

L’utilisation de ce vocabulaire plus spécialisé se fera après que les élèves soient en mesure de décrire les phénomènes scientifiques avec leurs mots de tous les jours.

 

  1. Évaluation pour l’apprentissage

L’évaluation pour l’apprentissage permet à l’élève de démontrer son savoir et savoir-faire tout en construisant des connaissances contribuant au développement de compétences (Fitzgerald et Schneider, 2013 ; Hackling et Prain, 2005). Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux, 2013; Rey, 2012). Demander aux élèves d’expliquer leur processus vécu, à travers une expérience de construction d’un prototype de pont le plus solide possible, offre la possibilité de consolider les apprentissages en plus de faciliter les partages de savoir ainsi que la confrontation d’idées (voir critères plus haut). Ce critère comprend aussi une gamme d’outils d’observation et de consignation que l’enseignant utilise en cours d’apprentissage pour porter un jugement sur les apprentissages des élèves autant au regard des démarches que des contenus.  

 

  1. Ressources du milieu

Enfin, nous avons vu grâce au travail conjoint réalisé avec les praticiens que l’utilisation des ressources du milieu correspond tout à fait à un critère gagnant (Fitzgerald et Schneider, 2013; Hackling et Prain, 2005). Le recours aux abords de l’école pour faire des sorties avec les élèves pour des projets en éducation environnementale, par exemple, s’est avéré une ressource qui, selon nous, reste trop souvent inutilisée de la part des enseignants. Faire venir un parent d’élève qui travaille en sciences, à l’usine d’épuration ou à l’hôpital, peut permettre aux élèves d’avoir d’autres points de vue en ST. Cette ressource humaine locale peut devenir signifiante dans une activité de sciences où la résolution de problèmes locaux peut être la démarche privilégiée. Une autre façon d’utiliser les ressources du milieu c’est de mettre à contribution les familles dans le ramassage de matériaux de construction nécessaires aux activités de sciences et technologies, comme les tubes de carton pour la pratique gagnante « Squelette 3D ».

 

Grâce à la définition de ces critères gagnants, notre équipe de recherche a pu inventorier plus d’une cinquantaine de pratiques gagnantes provenant de nos enseignants collaborateurs. Ce sont ces pratiques gagnantes qui sont partagées aux jeunes et moins jeunes enseignants via notre site Web intitulé TableauST.

 

 

Références 

 

Astolfi, J.-P. (2008). Le questionnement pédagogique. Économie et management, 128, 68-73.

Astolfi, J.-P., Peterfalfi, B. et Vérin, A. (2006). Comment les enfants apprennent les sciences? (3e éd.). Paris, France: Retz.

Bisaut, J. (2005). Langage, action et apprentissage en sciences à l’école maternelle. Spirale – revue des recherches en éducation, 36, 123-138. Repéré à http://spirale-edu-revue.fr/IMG/pdf/12_Bisaut_Spirale_36.pdf

Bonwell, C. C. et Eison, J. A. (1991). Active Learning: Creating Excitement in the Classroom. Washington, DC: George Washington University.

Bruner, J. S. (1960). The Process of education. Cambridge, MA: Harvard University Press.

Duit, R. et Treagust, D. F. (2003). Conceptual change: a powerful framework for improving science teaching and learning. International Journal of Science Education, 25(6), 671-688.

Fabre, M. et Orange, C. (1997). Construction des problèmes et franchissement d’obstacles. Aster, 24, 37-57.

Fitzgerald, A. et Schneider, K. (2013). What teachers want: Supporting primary teachers in teaching science. Teaching Science, 59(2), 7-10.

Fontaine, S., Savoie-Zajc, L. et Cadieux, A. (2013). Évaluer les apprentissages – Démarche et outils d’évaluation pour le primaire et le secondaire. Anjou, Canada: CEC.

Hackling, M. W. et Prain, V. (2005). Primary Connections Stage 2 Trial: Research Report. Canberra, Australie: Australian Academy of Science.

Jaubert, M. et Rebière, M. (2000). Le rôle des pratiques langagières dans la construction de savoirs en biologie. Comment permettre aux élèves d’entrer dans une communauté discursive scientifique scolaire. Paris: INRP. Repéré à : http://www.persee.fr/docAsPDF/rfp_0556-7807_2002_num_141_1_2917.pdf

Johsua, S. et Dupin, J. J. (1993). Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques. Paris: Presses Universitaires de France.

Khun,  T.  (1970). La structure des révolutions scientifiques. Paris, France : Flammarion

Lhoste, Y., Boiron , V., Jaubert, M., Orange, C. et Rebière, M. (2011). Le récit : un outil pour prendre en compte le temps et l’espace dans des explications biologiques et pour construire des savoirs en sciences ?  Revue de Didactique des Sciences et des Technologies (RDST), 4, 57-81.

Morge, L. et Boilevin, J.-M. (2007). Séquences d’investigation en physique-chimie. Clermont-Ferrand, France: scérÉn – CRDP Auvergne.

Niaz, M. et Chacon, E. (2003). A Conceptual Change Teaching Strategy To Facilitate High School Students’ Understanding of Electrochemistry. Journal of Science Education and Technology, vol 12  (n°2), p.129-134.

Ontario. Ministère de l’Éducation. (2008). Le curriculum de l’Ontario de la 1ère à la 8e année, Sciences et technologie. Toronto, Canada: Ministère de l’Éducation. Récupéré de http://www.edu.gov.on.ca/fre/curriculum/elementary/scientec.html

Ontario. Ministère de l’Éducation. (2016). Compétences du 21e siècle: définir les compétences du 21e siècle pour l’Ontario (phase 1) (Document de réflexion). Récupéré de https://pedagogienumeriqueenaction.cforp.ca/wp-content/uploads/2016/03/Definir-les-competences-du-21e-siecle-pour-l_Ontario-Document-de-reflexion-phase-1-2016.pdf

Orange, C. (2005). Problème et problématisation dans l’enseignement scientifique. Aster, 40, 3-13.

Orange, C. (2012). Enseigner les sciences – problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe. Bruxelles, Belgique: De Boeck.

Québec. Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport. (2001). Programme de formation de l’école québécoise – Enseignement préscolaire et primaire. Québec, Canada: Gouvernement du Québec.

Rey, O. (2012). Le défi de l’évaluation des compétences. Institut français de l’éducation, 76, 1-18.

Thouin, M. (2017). Enseigner les sciences et les technologies au préscolaire et au primaire. Montréal, Canada: Éditions MultiMondes.